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Histoire d'un groupe
Premières notes (1970-1976)
Nous sommes début 1970 : à l’école HEC, Jean-Pierre Boully, seul dans son coin,
gratte sa guitare électrique Hofner rouge croco, au grand désespoir de ses
voisins de palier.
Un bâtiment plus loin, Jean-Louis de la Boulaye, plus sage, se contente d’une
guitare acoustique. Tous deux rêvent de monter un groupe : il faut un batteur.
Ils rencontrent Bernard Gaïsset, batteur sans batterie, qui finit par se faire
prêter une vieille « Pearl ». Au menu, Ten Years After, des bouts de Pink Floyd.
Le studio de répétitions est la chapelle du campus, chambre d’écho garantie !
Un an plus tard, Samy Ayari et Dominique Doucet les rejoignent. Le premier est
un batteur de rock qui a fait ses premières classes en Tunisie. Il remplace
progressivement Bernard Gaïsset. Le second est un pianiste-organiste venu
terminer ses études à Paris, chanteur de l’inoubliable « Black Spider », déjà
habitué à tourner (en rond) dans la région de Lyon.
Dès 1971, le groupe Pieds Joints est créé et assure ses premières « scènes ». La
musique prend rapidement le pas sur les études ; des premières compositions en
français (Spaghetti Rock, 10%, La Vogue…) viennent enrichir le répertoire de
départ (Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, les Stones, les Beatles, Johnny Kid,
Franck Zappa, John Mayall…).
L’été 1972, une tournée de 2 mois est organisée en Tunisie. Un corbillard
repeint en jaune, bleu et or est acheté pour transporter tout le monde.
Pieds Joints survit à la fin des études de ses membres.
L’été 1973, le groupe loue un pavillon à Antony. La formation est maintenant
résolue à se faire connaître en tant que « groupe de rock chantant en français
». Il faut maintenant peaufiner des maquettes avec un véritable ingénieur du son
qui assurera à la foi prises de son et mixage sur scène. Georges Sautour est
engagé dans le projet ; un studio de répétitions et d’enregistrement «
professionnel » est construit dans la cave.
Coup de théâtre, le groupe rencontre par hasard Vince Taylor (star du rock des
60’s) qui a besoin de musiciens pour faire son nième come-back. Un ancien
bassiste de Vince, James Byrne, intègre la formation à l’occasion. Le groupe
prend temporairement le nom d’Auroch pour accompagner le rocker. Pendant six
mois, seul le rockabilly pur et dur est au menu. Quelques « gros » concerts ont
lieu (Rouen, Bordeaux, banlieue parisienne…). Puis chacun reprend sa route.
Automne 1974, fin de la vie communautaire, un studio plus grand est monté rue du
Faubourg Saint Denis à Paris. Le groupe ne travaille plus que les compositions
en français, gardant les reprises en anglais pour les concerts. Une nouvelle
maquette est enregistrée, mais la notoriété a du mal à venir. En 1976, le
batteur Samy Ayari quitte le groupe et rejoint le « Kalfon Rock Chaud », le
bassiste Jean-Louis de la Boulaye, Dominique Doucet et Jean-Pierre Boully sont
sans projet.
Fin du premier Pieds Joints.
Accélération du tempo (1977-1980)
Après quelques mois de flou, Jean-Louis jette l’éponge, mais deux nouvelles
têtes viennent faire du bruit dans la cave : le bassiste Jean-Sylvain 'Sinou'
Ressaire, et le batteur Jean-Claude « Aldo » Moreau. La mayonnaise prend tout de
suite et Pieds Joints se reforme avec ses quatre membres définitifs (JPB, DD,
J-S R, J-C M).
Les anciennes compositions sont remaniées, et beaucoup d’autres naissent. Un
feeling jazz, porté par le batteur, amoureux de Coltrane, apparaît dans les
concerts. Le groupe se met à travailler intensément, Georges Sautour revient
enregistrer de nouvelles maquettes, et peu à peu Pieds Joints se fait un nom
dans les circuits alternatifs, enchaînant les concerts dans les facs en grève,
les meetings politiques d’extrême gauche et les festivals autogérés. Le
répertoire du groupe à cette époque est à la fois politisé, satirique, avec un
côté franchouillard assumé, et la hargne et la tendresse du vrai Rock’n’Roll.
Charly Dupuis délaisse momentanément le cinéma pour s’occuper de la promo et des
tournées, en association avec Album, puis Ecoute s’il pleut.
Louis Leborgne s’occupe de la sono, puis disparaît accidentellement, et c’est
Fred Marchal qui prend le relais, et restera le sonorisateur du groupe jusqu’à
sa dissolution.
Les tournées s’organisent, la presse commence à s’intéresser. Le premier disque,
autoproduit par le groupe se fera chez Vendémiaire, petit label alternatif, avec
des moyens techniques sommaires. Un 45 T avec deux titres, « Spaghetti Rock » et
« Fonce pas comme ça ».
La diffusion de ce disque sera confidentielle, mais c’est un début et une carte
de visite (bonne critique dans Rock et Folk).
Mais il faudrait un album pour toucher un plus large public.
Le groupe se met en quête d’une production et invite la presse à ses concerts,
des articles sortent dans Libération, Le Monde et la presse Rock. Lors d’un
concert à Paris, Suzy Halliday, qui travaille chez CBS, propose son aide pour «
faire signer » PJ, qu’elle ne peut pas prendre sur son label, ayant déjà signé
juste avant avec « Ocean ». Elle communique l’adresse de Christian Herrgott.
Le vinyle enfin ! (1980-1982)
En 1980, Pieds Joints rencontre Christian Herrgott et signe un « vrai » contrat
d’artiste avec Arabella-Eurodisc et les éditions Hansa.
Un premier 45 T 3 titres sort à l’automne, (« Fille de député », « Le bon vieux
temps », « Les méfaits du rock »), enregistré et mixé par Dominique Blanc-Francart.
Tout est fait en trois jours, le résultat est compact et sans fioritures
inutiles. La presse est bonne, le baromètre est au beau, les concerts
s’enchaînent.
La genèse de l’album de 1981 est plus délicate. Une première série de maquettes
réalisée sous la direction d’Hervé Muller explore des pistes étranges, mais
n’aboutit pas.
Le groupe rencontre ensuite Thierry Vincent, qui a réalisé entre autres
plusieurs albums de Jacques Higelin ; une relation riche, mais tumultueuse, qui
aboutira à l’unique album enregistré et mixé à Flexanville en 1981. Un 45 T tiré
de l’album sortira très peu après (« 10% », « Menu cybernétique »).
Le groupe ne sera pas très content du résultat, mais la presse l’accueille
favorablement et les ventes démarrent. La promo suit, avec de nombreux passages
radio et télé chez Patrick Sabatier, Philippe Bouvard, Jean-François Kahn, Télé
Monte-Carlo… Jean-François Kahn a fortement supporté PJ dès le premier 45T,
qu’il passe abondamment sur France Inter et fait passer deux fois dans son
émission TV « Chantez-le moi ». Marie-France Brière réalise une vidéo officielle
(perdue) sur les deux titres phares du 45T (« 10% », « Menu cybernétique »).
Ces promotions, pas toujours bien ciblées, mettent souvent le groupe en
porte-à-faux par rapport à son style, ses convictions et son public de concert.
L’identité du groupe repose sur une ambiguïté délibérée entre un rock sans
concession et un éclectisme qui ignore les modes, et s’accommode mal des
impératifs du show-business.
Au final, le 33 T est trop policé pour être sincère et les titres les plus
engagés du groupe ont été refusés par la maison de disque (« Le loup », Bye bye
Baader », Engage-toi »). Le groupe a mal géré son image et le paiera cash.
Decrescendo (1982-1983)
Un recentrage s’impose et Pieds Joints se remet au travail et tourne autant que
possible en France, pour mettre au point une nouvelle série de maquettes avec
Fred Marchal.
D’anciens morceaux sont réhabilités, comme « Le Loup », « Bye Bye Baader », et
une nouvelle version kitch et flamboyante de « Spaghetti-rock », à
contre-courant de la tendance de l’époque (Téléphone, Trust, Indochine…). De
nouvelles compositions suivent, avec toujours le même éclectisme qui refuse le
copier-coller de textes en Français sur des vieux riffs des Stones…
La maison de disques ne comprend plus, ou plutôt réalise que le groupe est
inclassable, donc invendable. La séparation se fera en douceur, et la
dissolution de Pieds Joints suivra quelques mois plus tard.
Le chant du cygne
Pieds Joints se réunira à nouveau en 1995 pour un unique concert dans le Lot,
devant un public de fidèles.
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